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Les jazzmen, nouveaux enfants pauvres de la culture au Québec

Louise-Maude Rioux Soucy
Le Devoir Édition du vendredi 6 janvier 2006

La bonne santé du jazz au Québec est une illusion, juge une poignée de musiciens qui a décidé de prendre le taureau par les cornes en créant le Regroupement des artistes de jazz et de musique actuelle du Québec (RAJMAQ). Un mois après son inauguration, l'organisme lance un cri d'alarme: derrière le succès du Festival international de jazz de Montréal se cachent en fait les nouveaux parents pauvres de la culture.

La formule surprend, mais elle tient la route, assure le vice-président du regroupement, Jean Vanasse. «Les danseurs ne sont plus les enfants pauvres de la culture. Ils se sont organisés. Maintenant, ce sont les musiciens de jazz qui sont les enfants pauvres de la culture, faute de réseaux adéquats. Il faut réagir, prendre position, réclamer notre dû.»

Le RAJMAQ est justement né de l'urgence de réunir le maximum de musiciens afin de les informer de leurs droits et de lutter pour obtenir de meilleures conditions de travail, de diffusion et de commercialisation. En dépit de la vitrine extraordinaire offerte par le Festival de jazz et de la vitalité de l'Off-Festival de jazz, le milieu connaît un réel appauvrissement au Québec.

C'est que le marché du jazz est de plus en plus difficile à saisir, explique le secrétaire-trésorier du RAJMAQ, Jacques Laurin. «C'est comme la saucisse Hygrade, plus le monde en mange, plus elles sont fraîches, mais c'est exactement le contraire qui se produit avec le jazz.»

En effet, si les Québécois écoutent de plus en plus de jazz, c'est d'abord celui de leurs voisins américains. Ce mouvement est la résultante directe des choix des diffuseurs, pense le RAJMAQ. «On diffuse beaucoup le jazz dit standard, celui qui est connu et qui est généralement américain. Mais dès qu'on embarque dans du matériel original de composition -- probablement aussi accessible que la musique américaine, mais pas aussi connu -- les institutions décrochent.»

Cet effet se fait sentir même dans les vitrines considérées comme des chasses gardées. À Radio-Canada, par exemple, la place du jazz ne cesse de diminuer, comme en fait foi la décision récente de la SRC de couper cinq heures de jazz à Espace Musique.


Même chose pour le Festival international de jazz de Montréal, poursuit M. Laurin. «Tous disent que c'est une vitrine extraordinaire, et c'est vrai ! Mais pas pour le jazz d'ici ! On y fait la promotion d'un jazz qui n'est pas celui que l'on fait.»

Quant aux retombées financières, elles sont loin d'être faramineuses, raconte le musicien. «On a fait un calcul rapide, de tous les millions que le Festival de jazz reçoit, la communauté des musiciens ne récolte qu'entre 75 000 et 150 000 $.»

Le milieu a également du mal à se faire entendre auprès des organismes subventionnaires publics, explique Jean Vanasse. «Il y a un grand besoin d'ouvrir nos horizons. On veut être entendu au Conseil des arts et des lettres du Québec [CALQ], là où notre voix ne passe pas.»

En effet, si les fonds publics destinés à la formation en musique des cégeps et des universités sont alloués aux étudiants en jazz dans une proportion variant entre 30 et 50 %, selon les institutions, les choses se corsent une fois le diplôme en poche.

Au CALQ, les subventions accordées aux organismes visant à soutenir le fonctionnement, la production et la diffusion totalisent 17 481 851 $. Pas moins de 97,5 % de ces fonds vont dans les poches des organismes de musique classique et contemporaine, ne laissant que des miettes aux organismes soutenant la musique actuelle (2,4 %) et le jazz (1,1%).

Pour le RAJMAQ, ces chiffres montrent que les gouvernements sont prêts à investir dans la formation, la recherche, la création et le perfectionnement des musiciens de jazz, mais pas pour faire fonctionner ses organismes chargés de produire et de diffuser le fruit de ces travaux.

En un mois seulement, le regroupement a réussi à recruter 60 membres. À terme, il pourrait compter de 300 à 500 membres. «On en sait très peu sur le musicien jazz, reconnaît Jacques Laurin. On ignore son salaire moyen, ses conditions de travail, ses projets. Il y a un très gros travail de défrichage à faire.»

Ce travail fait, le RAJMAQ aimerait éventuellement devenir lui-même producteur. «On veut arriver à débloquer de l'argent afin de faire vivre un réseau de jazz. Le but ultime, c'est de mettre sur pied un lieu qui nous serait propre», conclut Jean Vanasse.

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